Chante la Louve !

Il danse dans le matin, il s'est peint le visage d'ocre rouge, celle-la même dont il peint certains jours sur les parois de la grotte réservée aux rituels et incantations.

Il danse dans le matin, il s'est peint les mains également et tout le corps pour honorer la Terre dont il est l'enfant.

Il danse nu au Soleil Levant, juste devant la grotte. De ses yeux ruissellent des larmes de joie, de gratitude, d'émotions indistinctes mais douces et si puissantes à la fois qu'il en est transporté.

La rivière chante doucement tout près de là, la rivière qu'il affectionne et qui l'a vu naître il y a dix-sept ans. C'était pendant une Lune froide, tout était gelé autour de l'abri sous roche sous lequel vit sa communauté. Sa mère l'a mis au monde accompagnée par les chants du clan réuni autour de l'accouchée. Oui, tout le clan était là car cela faisait un bon moment qu'aucun enfant n'était né dans le clan de la Louve.

Il a grandi avec des dipositions particulières, il savait à l'avance où se trouvait le gibier, quel serait le temps du lendemain et des quelques jours à suivre, il savait quand aller cueillir les baies à maturité sans même sortir de l'abri. Il savait lire dans le vol des oiseaux ce qui allait arriver et si un enemi approchait. Il savait quand les grands troupeaux allaient partir ou venir.

Aujourd'hui, il danse dans la joie d'être père à son tour. Un enfant est né de sa compagne, le deuxième, mais celui-là est particulier, il est né aveugle, ses paupières se sont ouvertes sur des yeux blancs, entièrement blancs.

Cependant, Orin est heureux, son fils est vigoureux et il sait qu'il sera un jour le chef du clan de la Louve car il saura mieux que quiconque voir ce qui est essentiel. Son fils, il l'a appelé Trokaïa, ce qui veut dire dans sa langue Oeil de Faucon.

Alors il danse dans le Soleil qui maintenant s'est élevé dans le ciel et il tape sur des morceaux de bois en rythme et sa voix s'élève pour honorer la vie.

Et puis il entre dans la grotte, il a allumé une lampe à huile en forme de poêle et s'avance vers l'endroit où sont entreposés les couleurs et les charbons de bois dont il a besoin.

Fébrilement il s'en approche, les dépose dans un panier tressé afin de les transporter au pied de la paroi sur laquelle il va peindre.

En pensant à Trokaïa, il dessine un cheval dont la force est évidente, un cheval qui va soutenir son fils tout au long de sa vie. Oui ce cheval portera son enfant sur son dos lorsqu'il aura besoin d'aller au-delà de ses limites.

Ce cheval rejoint ceux que d'autres et Orin ont peint en un troupeau rapide et décidé. C'est qu'il faut savoir où l'on va en ces temps où les conditions de vie sont rudes et les dangers partout. Les chevaux vifs et en alerte permanente sont pour son clan le symbole de l'esprit en éveil, de la force qui émane de la communauté, de la grâce absolue et de la solidarité.

Il dessine d'abord les contours de l'animal après avoir soigneusement choisi l'emplacement afin qu'il s'harmonise parfaitement avec la roche et les autres chevaux. Et puis il applique les couleurs avec les doigts, un pinceau parfois pour les détails.

Tandis que l'animal naît sous ses doigts, il se sent habité par lui, sa peau devient robe douce, sa tâte s'allonge et ses narines deviennent naseaux fumant, ses cheveux crinière. Il devient un homme cheval. Il hennit, projetant sur la paroi la force de celui qui l'habite et l'argile qui a séché sur sa peau s'écaille et tombe tandis qu'il représente le cheval  avec la même ocre.

Il chante en peignant, il chante une prière pour l'enfant et pour le clan qui s'agrandit et doit se renouveler rapidement car on ne vit pas longtemps en ces temps. Il prie pour que d'autres enfants vigoureux viennent au monde et qu'ils vivent assez pour donner le jour à une autre génération.

Il chante aussi simplement parce qu'il est en lien avec le vivant, avec l'essence de toute chose.

Et voici qu'il entend au loin le hurlement d'un loup qui s'élève de l'autre côté de la rivière, de la vallée, sur les hauteurs. Il lui répond et bientôt une grande louve fait son apparition auprès de lui, elle lui tourne autour en sautillant de joie, il lui prend le cou et frotte son visage contre la joue de la Louve, c'est leur façon de se saluer.

La Louve ! Il l'a recueillie enfant, elle était blessée et avait été abandonnée par son clan car elle n'avait aucune chance de vivre. Elle était toute petite, il lui avait donné le lait de sa mère qui venait d'avoir un enfant et avait ainsi créé un lien étroit avec elle. Depuis ce temps, son clan s'est appelé le Clan de la Louve.

 Sa présence s'était faite plus rare quand elle avait rencontré un loup qui l'avait adoptée, mais elle revenait régulièrement retrouver Orin et le clan. Elle était toujours la bienvenue.

L'oeuvre est achevée, il se fait très tard, Orin rentre à l'abri à la lueur de la Lune et des étoiles innombrables dans le ciel. Il leur adresse un sourire reconnaissant. La Louve sur ses talons, il s'en va retrouver l'enfant et la mère, le fils et l'aimée. Et tous trois s'endorment auprès de la louve qui veille sur eux toute la nuit et s'en va au petit matin rejoindre son clan.

Cette nuit-là Orin rêve de Trokaïa adulte. Il le voit apprivoiser un cheval et monter sur son dos, se tenant à la crinière de l'animal. Il n'en revient pas !! Son fils aveugle sera un précurseur et sera reconnu par la tribu pour cela et c'est ainsi qu'il deviendra chef du clan.

A tous les artistes de la Préhistoire dont les œuvres magistrales honorent encore aujourd'hui les parois rocheuses du monde entier, à tous ceux qui depuis ma plus tendre enfance m'ont fait rêver de voyages dans les temps anciens, à Jean M. Auel qui du temps de mes vingt et quelques années a donné naissance à Ayla dont j'ai tant de fois rêvé et à laquelle je m'étais identifiée et qui m'a accompagnée au fil des ans à chaque sortie d'un nouveau tome. Et parce que depuis toujours la Préhistoire me fascine, ce modeste hommage.

Colette-Sidhana

10/10/2017