Chante la Louve !

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LES ANCIENS

 

 

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Les Anciens

 

Oh ce doux regard que tu me portes encore après toutes ces années, toi que j’ai connu si fringuant, si jeune, si beau ! Te souvient-il de ces temps où, libres, nous allions de lieu en lieu à la suite des troupeaux ? Comme tu étais alors un fier chasseur ! Tu n’avais peur de rien et tu étais mon héros ! Toute petite déjà, je t’ai regardé partir pour ta première chasse et mon cœur, dont tu ignorais tout, battait très fort pour toi. Tu t’en es sorti avec les honneurs ayant pu toucher une bête de l’une de tes flèches. Tu étais loin, mais j’ai pu sentir ta juste fierté.

 

Un jour tu m’as remarquée réellement et tu es venu vers moi. Tu jouais de la flûte et moi je t’écoutais, enveloppée dans ma couverture que j’ai ouverte pour te signifier mon amour.

 

Et depuis ce jour, malgré tout ce que nous avons vécu, toutes ces années qui parfois ont été bien cruelles, nous nous aimons. Nous avons connu l’exil de nos terres, chassés par les blancs qui s’appropriaient Grand-mère la Terre sans aucun respect pour elle et pour ses enfants. Nous avons connu le deuil de nos frères et sœurs, le chagrin des réserves, la faim et la misère, car privés de nos parties de chasse, il nous manquait l’essentiel.

 

Et le grand chasseur a rongé son frein et puis s’est résigné. Petit à petit tu as compris qu’il te restait une seule chose à faire : préserver notre culture à tout prix. Et tu as raconté, et je t’ai accompagné, aux plus jeunes ce qu’était notre vie avant l’arrivée des blancs. Le chasseur s’est fait passeur de mémoire, pour les garçons en particulier. Je me suis occupé des filles. Bien sûr, nous étions plusieurs à transmettre nos coutumes, notre lien avec Grand-Père le Ciel et Grand-Mère la Terre, avec tous les animaux de la création, avec chaque brin d’herbe. Nous avons raconté les messages du vent et des rivières, des chants des oiseaux, des pas des fourmis. Nous avons maintenu autant que c’était possible des rituels même lorsque c’était interdit, nous les avons simplifiés pour qu’ils passent un peu inaperçus.

 

Nous savons qu’un jour notre peuple renaîtra mais nous savons également que nous ne serons pas là pour le voir.

 

Nous avons fait notre devoir de mémoire. Et maintenant à plus de quatre-vingt-dix ans, nous pouvons dire que nous nous sommes toujours aimés, dans la joie et les larmes. Et quand tu me regardes avec ces yeux-là, je rosis comme la jeune fille que j’étais ! C’était avant que Hinmaton-Yalaktit (Chef Joseph), Tatanka Yotanka (Sitting Bull) et Thašunka Witko (Crazy Horse) ne deviennent de grands guerriers, avant que Buffalo Bill et Custer ne fassent leurs ravages.

 

Nous avons franchi le Vingtième siècle des blancs, mais il faudra encore des générations avant qu’ils ne comprennent leurs erreurs et encore beaucoup de temps pour qu’ils comprennent qu’ils marchent chaque jour sur leur Mère et apprennent à la respecter. Mais nous avons confiance. Nous partirons ensemble, je le sais, dans quelques temps, car notre heure vient. Nous pourrons partir le cœur tranquille d’avoir accompli tout ce que nous pouvions pour préserver les nôtres et nos prières ne seront pas pour nous mais pour tous ceux qui ne comprennent pas l’essence de la vie et n’ont que faire des connaissances des Anciens…

 

Colette-Eléanor Leclercq



06/02/2016
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